Le probleme de la communication au moyen âge a été l’objet de multiples recherches. D’une maniere générale, la
recherche des médiévistes a été guidée jusqu’ici, dans ce champ d’études, par
deux questions. D’un côté elle cherchait a examiner l’effet des croisades sur
la communication du moyen âge et le probleme de la communication entre l’Orient
et l’Occident, de l’autre côté le probleme de la transmission des messages, le
rôle des interpretes, des messagers et des pelerins, etc. Par contre, dans la littérature, l’apparition de la
question des difficultés linguistiques et du probleme de la communication entre
les hommes appartenant a différentes nations et parlant différentes langues n’a
jamais été examinée auparavant.
La question se pose donc : Comment et dans quelle mesure les problemes
de l’identité et de la communication entre les différents peuples sont-ils présents dans la littérature française
médiévale ?
En examinant la littérature de cette période, c’est dans les chansons de
geste que ce phénomene apparaît de la façon la plus évidente. Les chansons de
geste, chansons épiques du 11e-15e siecles racontant les
hauts faits des rois et des chevaliers, peuvent etre regroupés en quatre cycles
dont les trois premiers relatent au 12e siecle les histoires
embellies et légendaires de Charlemagne et de ses chevaliers ou de ses
successeurs datant du 8e et du 9e siecles. Du point
de vue de l’analyse c’est le 4e cycle qui paraît le plus important
et le plus intéressant, celui de la Croisade qui, contrairement aux trois
précédents, relate des événements contemporains. Comme beaucoup de gens parlant
des langues et des dialectes différents et ayant des
cultures tres éloignées se rencontrent lors des guerres, les difficultés
linguistiques posent un probleme réel. Les chansons de geste nous offrent de multiples possibilités quant a l’étude de
l’apparition du probleme de la communication, néanmoins, c’est le domaine le
moins recherché au niveau de la littérature médiévale
et c’est ce qui justifie le choix du sujet.
Pour pouvoir bien comprendre l’essentiel du probleme, il est important de
faire un bref aperçu sur l’époque en question qui nous est intéressante et du point
de vue national et linguistique.
Entre 1096 et 1290 huit croisades ont eu lieu dont l’objet était la délivrance
de la Terre Sainte des Arabes et des Turcs musulmans. Beaucoup de gens tres
différents et de point de vue social et culturel (nobles, roturiers, femmes,
hommes, enfants, lettrés, analphabetes, etc.) ont pris part aux croisades au
sein d’innombrables nations. Sans dresser une liste exhaustive, de la part des
chrétiens on y trouve entre autres des Français de l’Ile de France, des Normands,
des Bourguignons, des Gascons, des Italiens, des Allemands, des Anglais, des Hongrois,
des Autrichiens, des Grecs, des Arméniens, et de la part des Orientaux des
Turcs, des Kurdes, des Syriens, des Egyptiens, des Arabes, des Perses, des Sarrasins,
etc.
L’idée de la nation ne s’est pas encore cristallisée au cours du moyen âge.
Les historiens se sont mis d’accord sur le fait que le sentiment national
français n’apparaît qu’au début du 15e siecle mais un certain
sentiment régional caractérisait la population parlant différents dialectes
(Normands, Flamands, Bourguignons, Acquitains, Gascons, Picards, Bretons,
Limousins, etc.). La conscience linguistique
étant absente de la vision de l’homme médiéval, le critere de l’appartenance a
tel ou tel groupe n’était pas le fait de pouvoir parler la meme langue mais
plutôt la religion ou la dépendance du meme seigneur. C’est ce qui explique le
fait que les gens appartenant au meme peuple se sont considérés comme des
étrangers, s’ils dépendaient de différents seigneurs.
Il est évident qu’une certaine unité forte pouvait exister
entre les divers groupes ayant des caractéristiques linguistiques différentes qui n’était donc pas le
premier critere de l’appartenance mais c’est a ce
côté de l’identité du moyen âge que nous nous intéressons.
Du point de vue linguistique on est dans l’une des périodes les plus intéressantes
de l’histoire de la langue française puisque les
dialectes de l’ancien français né du latin vulgaire se sont cristallisés
pour le 11e siecle. Comme les masses prenant part aux croisades
différaient énormément du point de vue des dialectes et des langues parlés, de
leur place occupée au sein de la société, de leur appartenance géographique, la
question des difficultés linguistiques semble légitime. Sur le territoire de la
France médiévale beaucoup de dialectes étaient présents, dont les différences
existantes ne posaient pas de problemes de communication et de compréhension
significatifs entre les habitants se trouvant a proximité. Par contre, dans d’autres régions ou entre les dialectes
parlés des habitants des territoires éloignés les uns des autres, il y avait
d’énormes différences genant la compréhension mutuelle.
Les citations suivantes tirées des chroniques, écrites respectivement par
un chroniqueur et par un témoin oculaire de la premiere croisade, représentent
bien que les différences de langage peuvent compromettre l’intercompréhension.
« Mais aussi qui jamais a entendu dire qu'autant
de nations de langues différentes aient été réunies en une seule armée, telle
que la nôtre, [...] Que si quelque Breton ou Teuton venait me parler, je ne
saurais en aucune maniere, lui répondre. »
« il était arrivé, dans l'un de nos ports
de mer, des hommes de je ne sais quelle nation barbare qui parlaient un langage
tellement inconnu que, ne pouvant se faire comprendre [...]. »
Les phrases suivantes du Psautier de
Metz rédigées par un moine bénédictin de Metz prouvent la meme chose.
« Et pour ce que nulz ne tient
en son parleir ne rigle certenne, mesure ne raison, est laingue romance si
corrompue, qu’a poinne li uns entent l’aultre et a poinne puet on trouveir a
jour d’ieu personne qui saiche escrire, anteir ne prononcieir en un meisme
menieire, mais escript, ante et prononce li uns en une guise et li aultre en
une aultre. »
En fait, malgré les difficultés évidentes, la littérature des croisades et
l’époque en question peuvent etre caractérisées par le manque de l’intéret
porté vers les questions linguistiques dont la cause est l’image que la France
avait d’elle-meme a cause de sa place occupée dans le monde. Au 13e siecle ce phénomene devient encore plus accentué puisque le royaume français
étendu et restructuré avait gagné une telle importance internationale que la
langue française a acquis un rôle primordial dans toute l’Europe et a l’Orient
elle servait de langue internationale et de langue de communication pendant longtemps. Au Nord de la France on s’intéressait encore
moins aux différences de langage qu’au Sud, les chroniqueurs des croisades et
les auteurs des chansons de geste non plus n’y pretent donc pas vraiment
attention.
Selon leur origine, ce n’est que de leur propre camp qu’ils s’occupent en
général, c’est ce qui explique le manque des allusions linguistiques et des
problemes d’intercompréhension.
A cause de cela, évidemment, en partant des textes des chansons de geste qui
sont en fait des créations littéraires se basant plus ou moins sur la réalité
historique, il n’est pas possible de tirer des conclusions valables a l’époque
historique en question, ils servent plutôt a examiner la présence et le reflet
des problemes de communication concrets existant a l’époque.
Nous allons dans ce qui suit, a travers des exemples littéraires
concrets, attirer l’attention sur certains aspects liés a ce phénomene.
Tout d’abord, nous voulons
étudier la question du manque des difficultés linguistiques, en ayant
particulierement en vue les situations ou les auteurs ne signalent pas de problemes
de communication bien que les personnages soient de langues maternelles
différentes. Les contacts entre chrétiens et musulmans sont abondants dans la
chanson. Sans établir une liste exhaustive, en voici quelques exemples.
Les chrétiens et les musulmans se rencontrent sur les champs de bataille et
ailleurs aussi, lors de ces rencontres ils s’insultent mutuellement. Ils entrent
souvent en duel au cours desquels, lors des altercations ils essaient de
convaincre l’autre de se convertir, dans la plupart des cas, sans succes. On
peut lire des conversions collectives, volontaires ou forcées a la religion
chrétienne, ou bien des liaisons amoureuses qui naissent entre des hommes
chrétiens et des femmes musulmanes ou inversement, parfois des mariages mixtes
aussi en résultent. La princesse musulmane prend souvent soin du prisonnier
chrétien envers lequel elle nourrit des sentiments tendres. Les chrétiens ont fréquemment
recours a des ruses pour pouvoir s’emparer des villes musulmanes. Dans ces
cas-la ils se déguisent et devant les portes de la ville ils discutent
longuement avec les gardiens, tant qu’on ne les laisse pas entrer. L’apparition
des traîtres, des espions, des messagers et des interpretes dans les textes
n’est suivie que tres rarement des allusions faites a la langue qu’ils parlent.
A travers ces quelques exemples on peut voir que pour les auteurs et peut-etre
pour nous, lecteurs aussi, il paraît évident dans la
plupart des cas que les personnages parlant différentes langues se
comprennent. Si l’on trouvait a tout instant des allusions linguistiques, cela
changerait probablement le caractere du texte et bloquerait le cours de l’histoire.
Néanmoins, la question se pose de savoir si le moment et la maniere de
l’utilisation des allusions faites par les auteurs a la présence des
difficultés langagieres est le résultat d’un choix conscient ou leur apparition
dans les textes est completement aléatoire. Dans ce qui suit, nous cherchons la
réponse a cette question aussi.
Dans la deuxieme partie de l’étude nous allons aborder
des situations concretes contenant des allusions linguistiques intéressantes en
les présentant en trois catégories.
Dans la premiere nous traitons des langues mentionnées dans les chansons de
geste, apres nous parlerons des sages, c’est a dire des personnages connaissant
plusieurs langues et ensuite nous donnerons un aperçu des personnages ayant des
fonctions particulieres du point de vue linguistique (interpretes, espions,
traîtres, ambassadeurs, messagers, pelerins, etc.)
Regardons tout d’abord la situation linguistique
dessinée par les chansons de geste. Au cours des croisades, de la part des
Occidentaux et des Orientaux, beaucoup de peuples participaient a la guerre,
cependant les chansons de geste ne mentionnent que quelques langues. En général, les participants sont énumérés dans le cadre de l’historicité, néanmoins les langues parlées par eux ne sont pas mentionnées
dans la plupart des cas. En plus, ce n’est que le nom de la langue qui apparaît,
les paroles ne sont presque jamais transcrites.
Dans les chansons de geste analysées pour cet article, les personnages
parlent les langues étrangeres suivantes :
le français :
« Savés
vous donqes, dame, françois parler?» (Huon
de Bordeaux)
le roman (qui désigne le français par rapport au latin) :
« Ains qu'il parlast ne
latin ne roumens » (Raoul de
Cambrai)
le
latin :
Il est important de connaître la signification
complexe du mot. Il peut désigner la langue latine et le français et meme l’ancien
grec, « la langue de la culture » par rapport au grégeois parlé des Byzantins.
Néanmoins il peut tout simplement signifier la langue (en son latin, c’est a
dire dans sa propre langue). Le mot latinier veut dire interprete, tant que l’expression enlatiné qui est d’ailleurs souvent utilisée, fait allusion au fait que quelqu’un
possede et connaît bien une langue.
« Il a pris penne et enke et parcemin,
Escrist le cartre del romans en latin » (Chanson d’Aspremont)
« Sarrazinois
resavoit il assez,
De
toz langages ert bien enlatinez. » (Aliscans)
le breton :
« Que trouvissiez Charlon le
roi poissant,
Et Bourgueignon et Breton bretonnant » (Enfances Ogier)
« ne dist pas franceis, ainz a breton parlé » (Renaud
de Montauban)
le gascon et le limousin :
« Aalart et Guischart
conmencierent .i. son,
Gasconois fu li diz et limozin li son. » (Renaud de Montauban)
le sarrasinois (qui désigne toutes
les langues arabes, turques et orientales) :
« Sarrasinois savoit moult bien parler » (Huon
de Bordeaux)
« Bien s'en ira l'ermites, ja n'ert araisonés,
Car del sarrasinois estoit enlatiniés. » (Chanson d’Antioche)
le bourguignon :
« Lor
parla Gondebués, qi Borgoingne maistrie » (Chanson
des Saisnes)
le grec :
« Grezois parole, qu'il en fu doctrinez » (Aliscans)
Le choix des langues ne paraît pas conscient, la cause de la mention de
telle ou telle langue n’est pas évidente. Probablement la notion des langues
étrangeres n’était pas claire a l’époque et malgré que les auteurs parlent des
Turcs, des Arabes, des Perses, des Sarrasins et des Syriens, ils ne mentionnent
qu’une seule langue commune, le sarrasinois, excepté dans deux cas, ne sachant
que ces divers groupes ethniques ont leur propre langues a eux.
« Antor lui descendirent et sodant et aufage
Et
roi et aumaçor de maint divers langage » (Chanson d’Antioche)
« De cinquante
langages iront gent sermonant. » (Chanson d’Antioche)
Le nombre des langues figurant dans la citation est
exagéré car c’est invraisemblable par rapport au nombre des langues parlées par les Turcs a cette époque-la.
C’est intéressant que la langue bretonne, bourguignonne, gasconne et
limousine soient mentionnées a part. La cause en est probablement le grand
écart linguistique entre le français et les langues, les dialectes parlés dans
ces régions dont les auteurs devaient etre conscients, c’est pourquoi ils ont
trouvé important d’accentuer cette différence.
En dehors des allusions linguistiques concretes relativement rares, on
trouve le plus souvent des expressions de valeur générale. L’utilisation des
tournures comme en son roman, en son langue, en son latin qui veulent dire « dans sa propre langue »,
paraît une solution relativement simple et compréhensible. Peu importe s’ils caractérisent la langue des
chrétiens ou des musulmans, les auteurs y ont souvent
recours.
en son langage, en
son roman, en son latin :
« Amedelis
apele, si dist en son langage » (Chanson d’Antioche)
« Amedelis
apele, si dist en son roman » (Chanson
d’Antioche)
« Li quens respont et dist en son latin » (Aliscans)
Un autre cas spécial des langues figurant dans les chansons de geste est
quand tel ou tel peuple n’arrive pas a communiquer a l’aide des mots mais ils
s’expriment par des sons inarticulés et au lieu de parler, ils crient et
hurlent. C’est leur caractere sauvage, monstrueux et effrayant et leur animalité qui prennent
ainsi de l’ampleur.
Des gens venant des régions linguistiques
différentes ne se comprenant pas dans la plupart des cas, luttaient en Terre
Sainte. Ce fait aurait causé de problemes de
communication et de coordination au sein des armées croisées formées par ces
gens. La réponse a cette polychromie linguistique était
l’utilisation du latin, langue conventionnelle des commandements et des
expressions militaire. Par contre, pour la communication
de tous les jours, les gens utilisaient une certaine variante de la
langue française qui était née du contact des différents dialectes et qui n’est en fait qu’une combinaison de ces
derniers. On avait tendance a abandonner les traits dialectaux les plus caractéristiques
pour aboutir a un koiné, a
savoir : une langue compréhensible par tous.
Comme les croisés ne connaissaient pas trop le latin, c’est ce koiné qui est devenu la langue standard et officielle en Terre Sainte, en plus il y a gagné un rôle
beaucoup plus important qu’en Occident. Evidemment, les différents dialectes
étaient encore plus ou moins présents au début, c’est ce qui explique la
présence des allusions faites a des langues étrangeres et des dialectes
difficilement compréhensibles dans les chansons de geste.
Le bilinguisme ou le plurilinguisme n’étaient pas
caractéristiques au moyen âge, la connaissance des langues étrangeres étant un
phénomene relativement rare, excepté dans les milieux aristocratiques. Les gens
cultivés devaient connaître le latin et dans des cas plus isolés ils
apprenaient l’hébreu, le grec et encore plus rarement l’arabe.
Comme seulement un faible pourcentage de la population savait lire, l’apprentissage
des langues étrangeres ne prenait pas d’ampleur. On ne parle que des phénomenes isolés, car les gens en général ne
quittaient que tres rarement les alentours de leur
ville ou de leur village natal a plus de 50 kilometres. Et ils n’ont rencontré
que tres peu de gens étrangers ou venant d’autres régions au cours de leur vie,
ils n’avaient donc pas besoin de connaître d’autres dialectes ou langues et leur
vocabulaire ne contenait que 600 mots environ. En plus, les personnes habitant pres les uns des autres se comprenaient
facilement, par contre les habitants des régions plus éloignées pas forcément.
La cause de l’apprentissage des langues étrangeres était le plus souvent le
voyage (pelerinages, commerce, etc.). A partir du 10e siecle on a
commencé a écrire de plus en plus souvent des guides contenant le vocabulaire de
base du pays de destination et comportant de 20 a 30 mots en général, dans de
rares cas meme 50 - des formules de politesse, des mots relatifs aux nourritures, aux
femmes, etc. Au cours des croisades, la communication entre les hommes est devenue primordiale. Les missionnaires, les
Templiers, les
dominicains et les marchands
étaient les premiers a apprendre la langue du pays ou de la région donnée. On
trouve beaucoup d’allusions a des chevaliers chrétiens sachant communiquer en
arabe, mais la plupart des chrétiens européens étaient obligés d’utiliser des
interpretes.
A l’Ouest il y avait quelques aristocrates qui parlaient plusieurs langues étrangeres
et on connaît quelques troubadours aussi qui parlaient trois, meme six langues. A l’Est le trilinguisme grec-arabe-arménien n’était pas du tout un phénomene
rare.
Dans les
chansons de geste, on trouve en général des personnages parlant deux,
beaucoup plus rarement trois ou plusieurs langues. En voici quelques exemples :
3 langues :
Un
Sarrasin « Ben sap parler en latin
es en roman » (Roland a Saragosse)
Renier « sarrazinois set parler et persis et
bon françois » (Enfances
Renier)
4 langues :
« Turquoi et aufricant, bedoin et
basclois » (La Prise d’Orange)
5 langues :
« Je sai bien le langaje de Perse et l’ Aufricane,
La Greçoise, la Hermine, e sai la Suriaine » (Entrée d’Espagne)
14 langues :
Un cas particulier est celui d’une jeune fille de la
chanson de geste d’Aiol qui en
connaît 14, des langues et des dialectes tellement différents les uns des
autres que le fait de pouvoir les parler a cette époque-la ne paraît pas
vraisemblable.
« Ele sut bien parler de .xiiii. latins
Ele savoit parler et grigois et
hermin,
Flamenc et borgengon et tout le
sarrasin,
Poitevin et gascon, se li vient a plaisir. » (Aiol)
20 langues :
Piccolet « Bien sai parler et latin et
ronmans,
Sarrazinois, grieiz et popeliquans
Pour vint langages n’iere ge ja doutans »
(Enfances Renier)
En ce qui concerne les personnages ayant des
fonctions particulieres, c´est a dire les interpretes, les ambassades, les
messagers, les pelerins, les espions et les traîtres, c’est le manque des
allusions linguistiques qui les caractérise, pareillement aux autres
personnages. Il paraît que la mention des mots interprete, ambassadeur, messager, espion, etc. va de pair avec le fait de
connaître la langue étrangere en question. Relativement rarement, mais on
trouve quand meme des situations ou les auteurs précisent la langue parlée par
ces personnes. Qu’il soit question des musulmans ou des chrétiens, ils
remplissent des fonctions également importantes. La présence du fil conducteur
et de la logique dans l’utilisation de telle ou telle expression relative aux
langues n’est pas manifeste car les auteurs ne trouvent pas important la cohérence
logique, tantôt ils mentionnent la connaissance des langues, tantôt ils la
négligent. En plus, dans les chansons de geste, l’utilisation des expressions
n’est pas logique non plus, les mots messager et interprete s’alternent par
exemple et désignent souvent la meme personne.
Du point de vue linguistique les interpretes sont les plus intéressants
pour cette analyse car les drogmans sarrasins sont souvent mentionnés. Pour
désigner les interpretes, les auteurs utilisent le plus souvent le mot latinier qui signifie « homme qui connaît plusieurs langues, qui enseigne les
langues, interprete, traducteur, savant ».
Ce mot était tellement courant au moyen âge qu’il a meme survécu sous la forme
du nom propre Latimier tres connu en Angleterre.
« Quant l'ot Amedelis qui fu ses latiniers » (Chanson d’Antioche)
« Avoec le senescal avoit un latinier » (Chanson d’Antioche)
Plus rarement, le mot interprete apparaît sous la forme de drogman emprunté
au grec byzantin
, lui-meme emprunté a l’arabe tarğumān comme le mot truchement aussi.
« Isnelement et tost a
pris un durghemant » (Chanson d’Antioche)
« A .II. siens durgemens fist le raison cargier,
L'uns fu Grius, l'autre Hermines, molt sorent bien
plaidier, » (Chanson d’Antioche)
Parfois c’est le mot hermin (Arménien) qui désigne les interpretes.
Comme le trilinguisme grec-arabe-arménien n’était pas un phénomene rare a
l’Orient, et comme les Arméniens de Petite Arménie utilisaient le français
comme deuxieme langue officielle, ils aidaient souvent les armées croisées en
tant qu’interpretes. Au cours des croisades, des dizaines, meme des centaines
de gens étaient tombés en captivité lors de chaque bataille dont certains ont
été rachetés, échangés ou libérés apres une période plus ou moins longue. Lors
de la captivité, la majorité des prisonniers sont devenus bilingues et dans la
plupart des cas ils servaient comme interpretes officiels.
Les problemes de communication entre chrétiens et chrétiens, entre
musulmans et musulmans et entre chrétiens et musulmans sont de vrais problemes
historiques qui ne sont pas suffisamment bien reflétés par les ouvres
littéraires, comme on l’a déja vu. Meme si on rencontre ce phénomene dans les
chansons de geste, il est difficile de trouver de la cohérence
logique dans l’utilisation des expressions relatives a la langue des
personnages. Les allusions linguistiques peuvent etre caractérisées par une
certaine liberté au niveau du choix des expressions, néanmnoins on peut en
déduire des détails non négligeables et des informations intéressantes
concernant les problemes de communication de l’époque vus a travers les yeux
des auteurs en question, les faits qui méritent d’etre mentionnés selon eux et
ceux qu’ils trouvent négligeables.
Peut-etre serait-il intéressant de présenter des scenes concretes de
quelques chansons de geste avec les personnages, leurs origines respectives,
les enjeux de la situation et le déroulement de la communication aussi. En
fait, en mettant en contexte toutes les citations de cette maniere, on pourrait
en déduire d’autres informations intéressantes aussi. Il faudrait élargir le
domaine de la recherche en y rajoutant d’autres chansons de gestes aussi qui
sont riches en allusions concretes et comportent d’autres types de
problématiques concernant l’intercompréhension (p.ex. La Chanson de Roland,
Renaut de Montauban, Enfances Ogier, Chanson des Saisnes, Huon de Bordeaux, Aiol, etc.) et étudier
certaines chroniques aussi
pour pouvoir mieux comparer la réalité historique et la création littéraire.