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Vörös Zsófia:*
Les problemes de communication et d’identité dans les chansons de geste

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  Le probleme de la communication au moyen âge a été l’objet de multiples recherches. D’une maniere générale, la recherche des médiévistes a été guidée jusqu’ici, dans ce champ d’études, par deux questions. D’un côté elle cherchait a examiner l’effet des croisades sur la communication du moyen âge et le probleme de la communication entre l’Orient et l’Occident, de l’autre côté le probleme de la transmission des messages, le rôle des interpretes, des messagers et des pelerins, etc. [1] Par contre, dans la littérature, l’apparition de la question des difficultés linguistiques et du probleme de la communication entre les hommes appartenant a différentes nations et parlant différentes langues n’a jamais été examinée auparavant.

La question se pose donc : Comment et dans quelle mesure les problemes de l’identité et de la communication entre les différents peuples sont-ils présents dans la littérature française médiévale ?

 

En examinant la littérature de cette période, c’est dans les chansons de geste que ce phénomene apparaît de la façon la plus évidente. Les chansons de geste, chansons épiques du 11e-15e siecles racontant les hauts faits des rois et des chevaliers, peuvent etre regroupés en quatre cycles dont les trois premiers relatent au 12e siecle les histoires embellies et légendaires de Charlemagne et de ses chevaliers ou de ses successeurs datant du 8e et du 9e siecles. Du point de vue de l’analyse c’est le 4e cycle qui paraît le plus important et le plus intéressant, celui de la Croisade qui, contrairement aux trois précédents, relate des événements contemporains. Comme beaucoup de gens parlant des langues et des dialectes différents et ayant des cultures tres éloignées se rencontrent lors des guerres, les difficultés linguistiques posent un probleme réel. Les chansons de geste nous offrent de multiples possibilités quant a l’étude de l’apparition du probleme de la communication, néanmoins, c’est le domaine le moins recherché au niveau de la littérature médiévale et c’est ce qui justifie le choix du sujet.

 

Pour pouvoir bien comprendre l’essentiel du probleme, il est important de faire un bref aperçu sur l’époque en question qui nous est intéressante et du point de vue national et linguistique.

 

Entre 1096 et 1290 huit croisades ont eu lieu dont l’objet était la délivrance de la Terre Sainte des Arabes et des Turcs musulmans. Beaucoup de gens tres différents et de point de vue social et culturel (nobles, roturiers, femmes, hommes, enfants, lettrés, analphabetes, etc.) ont pris part aux croisades au sein d’innombrables nations. Sans dresser une liste exhaustive, de la part des chrétiens on y trouve entre autres des Français de l’Ile de France, des Normands, des Bourguignons, des Gascons, des Italiens, des Allemands, des Anglais, des Hongrois, des Autrichiens, des Grecs, des Arméniens, et de la part des Orientaux des Turcs, des Kurdes, des Syriens, des Egyptiens, des Arabes, des Perses, des Sarrasins, etc.  

 

L’idée de la nation ne s’est pas encore cristallisée au cours du moyen âge. Les historiens se sont mis d’accord sur le fait que le sentiment national français n’apparaît qu’au début du 15e siecle mais un certain sentiment régional caractérisait la population parlant différents dialectes (Normands, Flamands, Bourguignons, Acquitains, Gascons, Picards, Bretons, Limousins, etc.) [2] . La conscience linguistique étant absente de la vision de l’homme médiéval, le critere de l’appartenance a tel ou tel groupe n’était pas le fait de pouvoir parler la meme langue mais plutôt la religion ou la dépendance du meme seigneur. C’est ce qui explique le fait que les gens appartenant au meme peuple se sont considérés comme des étrangers, s’ils dépendaient de différents seigneurs. [3]

Il est évident qu’une certaine unité forte pouvait exister entre les divers groupes ayant des caractéristiques linguistiques différentes qui n’était donc pas le premier critere de l’appartenance mais c’est a ce côté de l’identité du moyen âge que nous nous intéressons.

Du point de vue linguistique on est dans l’une des périodes les plus intéressantes de l’histoire de la langue française puisque les dialectes de l’ancien français né du latin vulgaire se sont cristallisés pour le 11e siecle. Comme les masses prenant part aux croisades différaient énormément du point de vue des dialectes et des langues parlés, de leur place occupée au sein de la société, de leur appartenance géographique, la question des difficultés linguistiques semble légitime. Sur le territoire de la France médiévale beaucoup de dialectes étaient présents, dont les différences existantes ne posaient pas de problemes de communication et de compréhension significatifs entre les habitants se trouvant a proximité. Par contre, dans d’autres régions ou entre les dialectes parlés des habitants des territoires éloignés les uns des autres, il y avait d’énormes différences genant la compréhension mutuelle.

Les citations suivantes tirées des chroniques, écrites respectivement par un chroniqueur et par un témoin oculaire de la premiere croisade, représentent bien que les différences de langage peuvent compromettre l’intercompréhension.

« Mais aussi qui jamais a entendu dire qu'autant de nations de langues différentes aient été réunies en une seule armée, telle que la nôtre, [...] Que si quelque Breton ou Teuton venait me parler, je ne saurais en aucune maniere, lui répondre. » [4]

« il était arrivé, dans l'un de nos ports de mer, des hommes de je ne sais quelle nation barbare qui parlaient un langage tellement inconnu que, ne pouvant se faire comprendre [...]. » [5]

Les phrases suivantes du Psautier de Metz rédigées par un moine bénédictin de Metz prouvent la meme chose.

« Et pour ce que nulz ne tient en son parleir ne rigle certenne, mesure ne raison, est laingue romance si corrompue, qu’a poinne li uns entent l’aultre et a poinne puet on trouveir a jour d’ieu personne qui saiche escrire, anteir ne prononcieir en un meisme menieire, mais escript, ante et prononce li uns en une guise et li aultre en une aultre. » [6]

 

En fait, malgré les difficultés évidentes, la littérature des croisades et l’époque en question peuvent etre caractérisées par le manque de l’intéret porté vers les questions linguistiques dont la cause est l’image que la France avait d’elle-meme a cause de sa place occupée dans le monde. Au 13e siecle ce phénomene devient encore plus accentué puisque le royaume français étendu et restructuré avait gagné une telle importance internationale que la langue française a acquis un rôle primordial dans toute l’Europe et a l’Orient elle servait de langue internationale et de langue de communication pendant longtemps [7] .  Au Nord de la France on s’intéressait encore moins aux différences de langage qu’au Sud, les chroniqueurs des croisades et les auteurs des chansons de geste non plus n’y pretent donc pas vraiment attention [8] . Selon leur origine, ce n’est que de leur propre camp qu’ils s’occupent en général, c’est ce qui explique le manque des allusions linguistiques et des problemes d’intercompréhension.

A cause de cela, évidemment, en partant des textes des chansons de geste qui sont en fait des créations littéraires se basant plus ou moins sur la réalité historique, il n’est pas possible de tirer des conclusions valables a l’époque historique en question, ils servent plutôt a examiner la présence et le reflet des problemes de communication concrets existant a l’époque.

 

Nous allons dans ce qui suit, a travers des exemples littéraires concrets, attirer l’attention sur certains aspects liés a ce phénomene.

            Tout d’abord, nous voulons étudier la question du manque des difficultés linguistiques, en ayant particulierement en vue les situations ou les auteurs ne signalent pas de problemes de communication bien que les personnages soient de langues maternelles différentes. Les contacts entre chrétiens et musulmans sont abondants dans la chanson. Sans établir une liste exhaustive, en voici quelques exemples.

Les chrétiens et les musulmans se rencontrent sur les champs de bataille et ailleurs aussi, lors de ces rencontres ils s’insultent mutuellement. Ils entrent souvent en duel au cours desquels, lors des altercations ils essaient de convaincre l’autre de se convertir, dans la plupart des cas, sans succes. On peut lire des conversions collectives, volontaires ou forcées a la religion chrétienne, ou bien des liaisons amoureuses qui naissent entre des hommes chrétiens et des femmes musulmanes ou inversement, parfois des mariages mixtes aussi en résultent. La princesse musulmane prend souvent soin du prisonnier chrétien envers lequel elle nourrit des sentiments tendres. Les chrétiens ont fréquemment recours a des ruses pour pouvoir s’emparer des villes musulmanes. Dans ces cas-la ils se déguisent et devant les portes de la ville ils discutent longuement avec les gardiens, tant qu’on ne les laisse pas entrer. L’apparition des traîtres, des espions, des messagers et des interpretes dans les textes n’est suivie que tres rarement des allusions faites a la langue qu’ils parlent.

A travers ces quelques exemples on peut voir que pour les auteurs et peut-etre pour nous, lecteurs aussi, il paraît évident dans la plupart des cas que les personnages parlant différentes langues se comprennent. Si l’on trouvait a tout instant des allusions linguistiques, cela changerait probablement le caractere du texte et bloquerait le cours de l’histoire. Néanmoins, la question se pose de savoir si le moment et la maniere de l’utilisation des allusions faites par les auteurs a la présence des difficultés langagieres est le résultat d’un choix conscient ou leur apparition dans les textes est completement aléatoire. Dans ce qui suit, nous cherchons la réponse a cette question aussi.

 

Dans la deuxieme partie de l’étude nous allons aborder des situations concretes contenant des allusions linguistiques intéressantes en les présentant en trois catégories.

Dans la premiere nous traitons des langues mentionnées dans les chansons de geste, apres nous parlerons des sages, c’est a dire des personnages connaissant plusieurs langues et ensuite nous donnerons un aperçu des personnages ayant des fonctions particulieres du point de vue linguistique (interpretes, espions, traîtres, ambassadeurs, messagers, pelerins, etc.)

Regardons tout d’abord la situation linguistique dessinée par les chansons de geste. Au cours des croisades, de la part des Occidentaux et des Orientaux, beaucoup de peuples participaient a la guerre, cependant les chansons de geste ne mentionnent que quelques langues. En général, les participants sont énumérés dans le cadre de l’historicité, néanmoins les langues parlées par eux ne sont pas mentionnées dans la plupart des cas. En plus, ce n’est que le nom de la langue qui apparaît, les paroles ne sont presque jamais transcrites.

Dans les chansons de geste analysées pour cet article, les personnages parlent les langues étrangeres suivantes :

 

le français :

« Savés vous donqes, dame, françois parler  (Huon de Bordeaux)

                          

le roman (qui désigne le français par rapport au latin) :

« Ains qu'il parlast ne latin ne roumens »   (Raoul de Cambrai)    

 

le latin :

Il est important de connaître la signification complexe du mot. Il peut désigner la langue latine et le français et meme l’ancien grec, « la langue de la culture » par rapport au grégeois parlé des Byzantins. Néanmoins il peut tout simplement signifier la langue (en son latin, c’est a dire dans sa propre langue). Le mot latinier veut dire interprete, tant que l’expression enlatiné qui est d’ailleurs souvent utilisée, fait allusion au fait que quelqu’un possede et connaît bien une langue. [9]

 

« Il a pris penne et enke et parcemin,                  

Escrist le cartre del romans en latin »            (Chanson d’Aspremont)    

            «  Sarrazinois resavoit il assez,                      

De toz langages ert bien enlatinez. »              (Aliscans)    

 

le breton :

« Que trouvissiez Charlon le roi poissant,      

Et Bourgueignon et Breton bretonnant »    (Enfances Ogier) 

« ne dist pas franceis, ainz a breton parlé »  (Renaud de Montauban)

 

le gascon et le limousin :

« Aalart et Guischart conmencierent .i. son,      

Gasconois fu li diz et limozin li son. »         (Renaud de Montauban)

 

le sarrasinois (qui désigne toutes les langues arabes, turques et orientales) :

« Sarrasinois savoit moult bien parler »      (Huon de Bordeaux)

« Bien s'en ira l'ermites, ja n'ert araisonés,

Car del sarrasinois estoit enlatiniés. »                  (Chanson d’Antioche)

 

le bourguignon :

« Lor parla Gondebués, qi Borgoingne maistrie » (Chanson des Saisnes)  

 

le grec :

« Grezois parole, qu'il en fu doctrinez » (Aliscans) 

     

Le choix des langues ne paraît pas conscient, la cause de la mention de telle ou telle langue n’est pas évidente. Probablement la notion des langues étrangeres n’était pas claire a l’époque et malgré que les auteurs parlent des Turcs, des Arabes, des Perses, des Sarrasins et des Syriens, ils ne mentionnent qu’une seule langue commune, le sarrasinois, excepté dans deux cas, ne sachant que ces divers groupes ethniques ont leur propre langues a eux.

 

« Antor lui descendirent et sodant et aufage       

Et roi et aumaçor de maint divers langage »        (Chanson d’Antioche)    

 

« De cinquante langages iront gent sermonant. »  (Chanson d’Antioche)    

Le nombre des langues figurant dans la citation est exagéré car c’est invraisemblable par rapport  au nombre des langues parlées par les Turcs a cette époque-la.

 

C’est intéressant que la langue bretonne, bourguignonne, gasconne et limousine soient mentionnées a part. La cause en est probablement le grand écart linguistique entre le français et les langues, les dialectes parlés dans ces régions dont les auteurs devaient etre conscients, c’est pourquoi ils ont trouvé important d’accentuer cette différence.

En dehors des allusions linguistiques concretes relativement rares, on trouve le plus souvent des expressions de valeur générale. L’utilisation des tournures comme en son roman, en son langue, en son latin qui veulent dire « dans sa propre langue », paraît une solution relativement simple et compréhensible. Peu importe s’ils caractérisent la langue des chrétiens ou des musulmans, les auteurs y ont souvent recours.

 

en son langage, en son roman, en son latin :

            « Amedelis apele, si dist en son langage »         (Chanson d’Antioche)    

            « Amedelis apele, si dist en son roman  »         (Chanson d’Antioche)      

            « Li quens respont et dist en son latin »              (Aliscans)    

 

Un autre cas spécial des langues figurant dans les chansons de geste est quand tel ou tel peuple n’arrive pas a communiquer a l’aide des mots mais ils s’expriment par des sons inarticulés et au lieu de parler, ils crient et hurlent. C’est leur caractere sauvage, monstrueux  et effrayant et leur animalité qui prennent ainsi de l’ampleur.

 

Des gens venant des régions linguistiques différentes ne se comprenant pas dans la plupart des cas, luttaient en Terre Sainte. Ce fait aurait causé de problemes de communication et de coordination au sein des armées croisées formées par ces gens. La réponse a cette polychromie linguistique était l’utilisation du latin, langue conventionnelle des commandements et des expressions militaire. Par contre, pour la communication de tous les jours, les gens utilisaient une certaine variante de la langue française qui était née du contact des différents dialectes et qui n’est en fait qu’une combinaison de ces derniers. On avait tendance a abandonner les traits dialectaux les plus caractéristiques pour aboutir a un koiné, a savoir : une langue compréhensible par tous.

Comme les croisés ne connaissaient pas trop le latin, c’est ce koiné qui est devenu la langue standard et officielle en Terre Sainte, en plus il y a gagné un rôle beaucoup plus important qu’en Occident. Evidemment, les différents dialectes étaient encore plus ou moins présents au début, c’est ce qui explique la présence des allusions faites a des langues étrangeres et des dialectes difficilement compréhensibles dans les chansons de geste.

Le bilinguisme ou le plurilinguisme n’étaient pas caractéristiques au moyen âge, la connaissance des langues étrangeres étant un phénomene relativement rare, excepté dans les milieux aristocratiques. Les gens cultivés devaient connaître le latin et dans des cas plus isolés ils apprenaient l’hébreu, le grec et encore plus rarement l’arabe.

Comme seulement un faible pourcentage de la population savait lire, l’apprentissage des langues étrangeres ne prenait pas d’ampleur. [10] On ne parle que des phénomenes isolés, car les gens en général ne quittaient que tres rarement les alentours de leur ville ou de leur village natal a plus de 50 kilometres. Et ils n’ont rencontré que tres peu de gens étrangers ou venant d’autres régions au cours de leur vie, ils n’avaient donc pas besoin de connaître d’autres dialectes ou langues et leur vocabulaire ne contenait que 600 mots environ. [11] En plus, les personnes habitant pres les uns des autres se comprenaient facilement, par contre les habitants des régions plus éloignées pas forcément.

La cause de l’apprentissage des langues étrangeres était le plus souvent le voyage (pelerinages, commerce, etc.). A partir du 10e siecle on a commencé a écrire de plus en plus souvent des guides contenant le vocabulaire de base du pays de destination et comportant de 20 a 30 mots en général, dans de rares cas meme 50 -  des formules de politesse, des mots relatifs aux nourritures, aux femmes, etc. Au cours des croisades, la communication entre les hommes est devenue primordiale. Les missionnaires, les Templiers, les dominicains et les marchands étaient les premiers a apprendre la langue du pays ou de la région donnée. On trouve beaucoup d’allusions a des chevaliers chrétiens sachant communiquer en arabe, mais la plupart des chrétiens européens étaient obligés d’utiliser des interpretes [12] .

A l’Ouest il y avait quelques aristocrates qui parlaient plusieurs langues étrangeres et on connaît quelques troubadours aussi qui parlaient trois, meme six langues. [13] A l’Est le trilinguisme grec-arabe-arménien n’était pas du tout un phénomene rare.

Dans les chansons de geste, on trouve en général des personnages parlant deux, beaucoup  plus rarement trois ou plusieurs langues. En voici quelques exemples :

  

3 langues :

Un Sarrasin « Ben sap parler en latin es en roman » (Roland a Saragosse)

Renier « sarrazinois set parler et persis et bon françois » (Enfances Renier)

 

4 langues :

« Turquoi et aufricant, bedoin et basclois » (La Prise d’Orange)

 

5 langues :

« Je sai bien le langaje de Perse et l’ Aufricane,

La Greçoise, la Hermine, e sai la Suriaine » (Entrée d’Espagne)

 

14 langues :

Un cas particulier est celui d’une jeune fille de la chanson de geste d’Aiol qui en connaît 14, des langues et des dialectes tellement différents les uns des autres que le fait de pouvoir les parler a cette époque-la ne paraît pas vraisemblable.

            « Ele sut bien parler de .xiiii. latins                      

Ele savoit parler et grigois et hermin,       

Flamenc et borgengon et tout le sarrasin,           

Poitevin et gascon, se li vient a plaisir. »         (Aiol)  

 

20 langues :

Piccolet « Bien sai parler et latin et ronmans,

Sarrazinois, grieiz et popeliquans

Pour vint langages n’iere ge ja doutans » (Enfances Renier)

 

En ce qui concerne les personnages ayant des fonctions particulieres, c´est a dire les interpretes, les ambassades, les messagers, les pelerins, les espions et les traîtres, c’est le manque des allusions linguistiques qui les caractérise, pareillement aux autres personnages. Il paraît que la mention des mots interprete, ambassadeur, messager, espion, etc. va de pair avec le fait de connaître la langue étrangere en question. Relativement rarement, mais on trouve quand meme des situations ou les auteurs précisent la langue parlée par ces personnes. Qu’il soit question des musulmans ou des chrétiens, ils remplissent des fonctions également importantes. La présence du fil conducteur et de la logique dans l’utilisation de telle ou telle expression relative aux langues n’est pas manifeste car les auteurs ne trouvent pas important la cohérence logique, tantôt ils mentionnent la connaissance des langues, tantôt ils la négligent. En plus, dans les chansons de geste, l’utilisation des expressions n’est pas logique non plus, les mots messager et interprete s’alternent par exemple et désignent souvent la meme personne.

Du point de vue linguistique les interpretes sont les plus intéressants pour cette analyse car les drogmans sarrasins sont souvent mentionnés. Pour désigner les interpretes, les auteurs utilisent le plus souvent le mot latinier qui signifie « homme qui connaît plusieurs langues, qui enseigne les langues, interprete, traducteur, savant » [14] . Ce mot était tellement courant au moyen âge qu’il a meme survécu sous la forme du nom propre Latimier tres connu en Angleterre.

« Quant l'ot Amedelis qui fu ses latiniers »     (Chanson d’Antioche)      

« Avoec le senescal avoit un latinier »           (Chanson d’Antioche)      

 

Plus rarement, le mot interprete apparaît sous la forme de drogman emprunté au grec byzantin , lui-meme emprunté a l’arabe tarğumān comme le mot truchement aussi [15] .

« Isnelement et tost a pris un durghemant » (Chanson d’Antioche)      

« A .II. siens durgemens fist le raison cargier,

L'uns fu Grius, l'autre Hermines, molt sorent bien plaidier, » (Chanson d’Antioche)      

 

Parfois c’est le mot hermin (Arménien) qui désigne les interpretes. Comme le trilinguisme grec-arabe-arménien n’était pas un phénomene rare a l’Orient, et comme les Arméniens de Petite Arménie utilisaient le français comme deuxieme langue officielle, ils aidaient souvent les armées croisées en tant qu’interpretes. Au cours des croisades, des dizaines, meme des centaines de gens étaient tombés en captivité lors de chaque bataille dont certains ont été rachetés, échangés ou libérés apres une période plus ou moins longue. Lors de la captivité, la majorité des prisonniers sont devenus bilingues et dans la plupart des cas ils servaient comme interpretes officiels [16] .

 

Les problemes de communication entre chrétiens et chrétiens, entre musulmans et musulmans et entre chrétiens et musulmans sont de vrais problemes historiques qui ne sont pas suffisamment bien reflétés par les ouvres littéraires, comme on l’a déja vu. Meme si on rencontre ce phénomene dans les chansons de geste, il est difficile de trouver de la cohérence logique dans l’utilisation des expressions relatives a la langue des personnages. Les allusions linguistiques peuvent etre caractérisées par une certaine liberté au niveau du choix des expressions, néanmnoins on peut en déduire des détails non négligeables et des informations intéressantes concernant les problemes de communication de l’époque vus a travers les yeux des auteurs en question, les faits qui méritent d’etre mentionnés selon eux et ceux qu’ils trouvent négligeables.

Peut-etre serait-il intéressant de présenter des scenes concretes de quelques chansons de geste avec les personnages, leurs origines respectives, les enjeux de la situation et le déroulement de la communication aussi. En fait, en mettant en contexte toutes les citations de cette maniere, on pourrait en déduire d’autres informations intéressantes aussi. Il faudrait élargir le domaine de la recherche en y rajoutant d’autres chansons de gestes aussi qui sont riches en allusions concretes et comportent d’autres types de problématiques concernant l’intercompréhension (p.ex. La Chanson de Roland, Renaut de Montauban, Enfances Ogier, Chanson des Saisnes, Huon de Bordeaux, Aiol, etc.) et étudier certaines chroniques aussi pour pouvoir mieux comparer la réalité historique et la création littéraire.

 



[1] Crusades and their Impact on the Development of Medieval Communication; Kommunikation Zwischen Orient und Okzident, 1992;  La circulation des nouvelles au Moyen Age (1994); The Communication Challenge of the Early Crusades 1099-1187; Cross cultural convergences int he Crusader period; Transport and Communication in the Middle Ages, etc.

 

[2] Karl Ferdinand Werner, Les nations et le sentiment national dans l’Europe médiévale in Revue Historique 244, 1970

[3] Philippe Contamine, Qu’est-ce qu’un « étranger » pour un Français de la fin du Moyen Age ? Contribution a l’histoire de l’identité française in Peuples du Moyen Age, problemes d'identification, Aix-en-Provence : Publications de l'Université de Provence, 1996, p. 27-43

[4] Foucher de Chartres, « L’histoire des croisades » in Collection des mémoires relatifs a l’histoire de France vol. 24., sous la direction de M. Guizot, Paris, J.-L.-J. Briere, 1825, p. 33 

[5] Guibert de Nogent, « L’histoire des croisades » in Collection des mémoires relatifs a l’histoire de France vol. 9., sous la direction de M. Guizot, Paris, J.-L.-J. Briere, 1825, p. 17

[7] Elisabeth Schulze-Busacker, « French Conceptions of Foreigners and Foriegn Languages », Romance Phililogy, Volume XLI, No I. , August 1987, p. 39

[8] Elisabeth Schulze-Busacker, « French Conceptions of Foreigners and Foriegn Languages », Romance Phililogy, Volume XLI, No I. , August 1987, p. 36

[9] Sur les différentes significations des mots latin et roman, voir Szabics Imre, « A latin és roman szavak poliszémiája a provanszál és francia költészetben », a paraître en 2009

[10] Bernard Bischoff, The Study of Foreign Languages in the middle ages, Speculum, A journal of medieval studies, Vol. XXXVI, april 1961, No 2

[11] G. Coulton, Medieval Village, Manor and Monastery, New York, 1960, p. 15

[12] Bernard Bischoff, « The Study of Foreign Languages in the middle ages », Speculum, A journal of medieval studies, Vol. XXXVI, april 1961, No 2, p. 216

[13] Elisabeth Schulze-Busacker « French Conceptions of Foreigners and Foriegn Languages », Romance Phililogy, Volume XLI, No I. , August 1987, p. 35  

[14] Frédéric Godefroy, Lexique de l'ancien français, Paris, Champion, 1990

[16] Gilbert Dagron, « Formes et fonctions du pluralisme linguistique a Byzance (IXe-XIIe siecles) », Travaux et Mémoires du Centre de Recherche d'Histoire et Civilisation byzantines 12, 1994, p. 233

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